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                         KanenaK

Il y a longtemps, dans une contrée au nom disparu dans les sables du temps, vivait un enfant. Ce dernier était connu dans le village, car il ne marchait jamais seul. En effet, un jouet dansait toujours dans ses bras au rythme de ses pas. La peluche était déchirée, recousue et recouverte de tâches. Autant de cicatrices d’usure qui prouvaient l’amour de l’enfant pour son compagnon d'aventure. L’enfant était souvent perdu, dans le village et dans ses pensées, si bien qu’il avait tendance à tout faire à l’envers. Mais même perdu dans la forêt ou la plus sombre des nuits, la peluche savait le guider dans sa vie. La peluche répondait à l'appel, peu importe qu’il prononce son nom à l’envers ou à l’endroit, elle s’appelait KanenaK.

Malheureusement, toute histoire commence par la mort de la monotonie, et celle de KanenaK commence par une tragédie. Que ce soit par une catastrophe naturelle, un accident ou une guerre de puissants aux dépens des braves gens, le feu se répandit dans le village de KanenaK. La nuit étoilée fut voilée par une constellation de braises qui dansaient dans le ciel tels des anges ardents. L’enfant paniqué prit son ami et, avec sa famille, ils prirent la fuite. Dans le chaos et la peur, l’enfant lâcha son jouet. Piétiné et recouvert de poussières, KanenaK disparu sous une couverture de cendres. Au matin, le village n’était plus qu’un amas de bois calciné et de pierres dispersées sans une seule âme en vue.

La Peluche inerte était seule. Ses yeux luisants, inamovibles, étaient fixés sur l’horizon. Tous les matins, l’aube caressait son dos. Tous les soirs, le crépuscule s’inclinait devant son regard. Chaque jour, Kanenak priait au fond de lui que son ami revienne le chercher. Mais jamais il ne vit l'enfant. Les journées passèrent et les saisons et les années décidèrent de faire de même. Tout changeait autour de la peluche, tout sauf sa solitude. Un jour, le jouet remarqua quelque chose d'inhabituel, cela faisait longtemps qu’il n’avait plus admiré de coucher de soleil, qu’il n’avait plus vu le crépuscule disparaître derrière les collines. Pourtant, il n’avait pas bougé, ça, il en était sûr, car s’il pouvait bouger, il aurait déjà retrouvé son ami depuis longtemps. KanenaK dut se rendre à l’évidence, si le soleil se couche autre part, c’est qu’il n’est plus au même endroit et si le soleil n’est plus au même endroit, la peluche non plus. KanenaK était perdu, et ce, sans avoir jamais bougé !

Le soleil se couche normalement toujours à l’Est, mais le soleil de ce pays se couche toujours dans une direction différente. Impossible, se dit la peluche, mais quand l’impossible se présente devant vos yeux, il faut revoir vos règles. Cette maxime, KanenaK la connaissait bien, son ami la lui répétait tout le temps. Alors, le jouet décida de revoir ses règles et d’ouvrir son esprit. Si, ici, le soleil peut bouger où il veut, pourquoi pas lui ? KanenaK fit les 100 pas pour réfléchir à la question, si bien que ce ne fut qu’au 101e qu’il remarqua qu’il était en train de marcher.

Déterminé à retrouver son ami, le jouet partit dans les bois. Malheureusement, il était bel et bien en terre étrangère. La forêt était étrange, un moment lumineuse et fleurie et à un autre, elle portait son plus mauvais masque de mousses et de champignons. Mais KanenaK n’avait pas peur, il ne pouvait pas se le permettre. Du moins, c’est ce qu’il répétait dans sa tête pour se donner du courage.

Le soleil était au plus haut et pourtant, la nuit venait déjà déposer son voile au loin. Mais, dans la pénombre, la peluche aperçut une lueur au loin. Il s’approcha et découvrit un renard assi à côté d’un feu douillet.
“Tiens tiens, un voyageur, viens, prends place auprès du feu, réchauffe ton être, mais fais attention de ne pas te brûler. Dis-moi, que fait un petit jouet comme toi dans ce bois ?”

Le jouet répondit d’un ton dépité.

“J’ai perdu mon ami. Disons plus que c’est lui qui m'a perdu. Lorsqu’on se perd, on nous disait toujours de ne pas bouger et d’attendre sur place jusqu’à ce qu’on nous retrouve, mais personne n’est jamais revenu me chercher. Pire, je me suis perdu, et ce, sans jamais bouger.”

KanenaK s'assit à côté du brasier, la lueur et les cendres qui volaient dans le ciel lui rappelèrent le feu qui avait brûlé son village. Tant de souvenirs lui revenaient en mémoire et une douleur lui tordait le torse. Si la peluche pouvait pleurer, elle aurait sans doute versé un torrent devant ce feu. Le renard remarqua le regard perdu et hagard de son invité.

“Tous ceux qui errent dans ce bois sont perdus, d’une manière ou d’une autre. La forêt nous le rappelle constamment, car il est impossible de se repérer dans cet endroit. Je suis désolé que tu aies perdu ton ami, mais je ne pense pas que tu le trouveras ici bas. Les esprits qui vivent ici pourraient profiter de ta gentillesse. Pourquoi ne resterais-tu pas à mes côtés ? On ne peut pas toujours retrouver ce qui est perdu, mais cela ne doit pas nous empêcher de construire de nouvelles choses.”

Une braise tomba sur le bras de KanenaK qui reprit ses esprits rapidement pour chasser l’intrus enflammé. Il regarda le soleil se lever au-dessus des arbres, puis il regarda le renard et répondit.

“Vous êtes bien aimable, mais je suis sûr que mon ami m’attend ! Il doit être bien inquiet sans moi. Le soleil se lève déjà, je dois me remettre sur ma route. Vous avez été très gentil et j’espère que la prochaine fois qu’on se verra, je pourrais vous présenter mon ami !”

Le renard soupira et répondit:

“Malheureusement, j’en doute. Bonne chance, brave peluche et fais attention aux habitants de ce bois, tous ne sont pas aussi polis que moi.”

KanenaK continua son aventure parmi les arbres. Il arriva près d’une grotte recouverte de toiles. S’approchant de l'ouverture, il salua la caverne d’un “bonjour”. Un bonjour, produit par une voix familière, se fit entendre en retour. Kanenak n’avait jamais vu de grotte auparavant, alors, pensant que cette dernière était peut-être vivante, il poursuivit.

“Excusez moi, mais je pense que je me suis perdu. Vous n’auriez pas vu d’enfant dans les parages ? Ou bien, vous ne pourriez pas m’aider pour ne plus me perdre ?”

Étonnamment, ce ne fut pas le son de son écho qui répondit au jouet cette fois-ci, mais une voix étouffée.

“Oh non, petite chose, je n’ai pas vu d’enfant ici depuis bien longtemps, mais je peux t’aider pour ne plus te perdre.”

Des cliquetis se firent entendre de la grotte et une araignée sortit sa tête du trou.

“ Je pense que tu es perdu, car tu n’as pas de tête, de cerveau pour être plus claire. Je peux toujours voir les pensées de ceux qui m'entourent et en toi, je ne vois rien. Tu es bête à manger du foin ! Ca ne m’étonne pas que tu n'arrives jamais à trouver ton chemin. Avec un cerveau, je suis sûr que tu pourras comprendre pourquoi tu es perdu.”

“ Ah bon, un cerveau !? Je ne pensais pas qu’une peluche comme moi pourrait avoir besoin d’un de ces machins. D’ailleurs, je pense à plein de choses ! Je ne comprends pas pourquoi vous ne voyez rien.”

Cependant, KanenaK avait un doute au fond de lui. Peut-être l’avait-on laissé là, car il était trop stupide.. Est ce qu’un cerveau pourrait vraiment régler tout ça et où pourrait-il en trouver un ?

“Ahhh. Je me doute de ce à quoi tu penses petit pantin, tu te demandes comment faire pour trouver quelque chose à mettre dans ta tête. Eh bien réjouis-toi, car j’ai de quoi t'aider. Avec mon métier à tisser, je pourrais te confectionner un cerveau ! Qu’en dis-tu ?”

KanenaK hésitait, mais, après un moment de réflexion, il accepta l’offre de l’araignée. Il suivit cette dernière dans sa tanière remplie de toiles où il y avait bel et bien un métier à tisser. L’araignée ouvrit l’arrière de la peluche à l’aide de ses pattes et elle y cousit une boule de toile ressemblant vaguement à ce qui se trouve dans un crâne. Ensuite, elle recousu consciencieusement la tête du jouet. KanenaK ne sentait aucun changement en lui, pas de nouvelles idées et pas plus de réponses à ses questions.

“Merci madame araignée, mais je ne pense pas que ce que vous avez mis dans ma tête m'a vraiment aidé. Je suis toujours aussi perdu au fond de moi. Je vous remercie pour votre aide, mais je crois que je vais poursuivre mon chemin.”

Pourtant, la peluche ne parvenait pas à bouger. Elle regarda à sa droite puis à sa gauche et remarqua que ses bras étaient bloqués dans la toile. L'araignée rigola:

“Ahaha tu es vraiment stupide ! Tellement facile à manipuler que tu t’es transformé en pantin, mon pantin. Maintenant, arrête de bouger le temps que je te mange.”

Pris de panique, KanenaK se débattait de toutes ses forces. Par chance, la peluche réussit à détruire une partie des fils qui maintenaient la toile sur laquelle l'araignée était posée. La créature tomba par terre et s’entoila dans ses propres outils. Le jouet profita de ce répit pour se libérer et s’enfuir hors de la grotte.

La forêt avait changé, le sol était boueux et l’air humide. Le bosquet paisible n’était plus là, à la place, il y avait un marécage grouillant d’insectes en tout genre. Au loin, des cliquetis métalliques résonnaient. KanenaK s’approcha de la source du bruit avec prudence. Après quelques pas dans la vase et la boue, le jouet aperçu un énorme crapaud assis sur une pile d’objets en tout genre. La bête était richement habillée. Elle se roulait sur le tas et retournait les objets en poussant des coassements de joie. La peluche s’approcha du crapaud et lui demanda:

“Bonjour monsieur, je suis perdu et je cherche mon ami. Vous n’auriez pas vu un enfant proche d’ici ?”

“Hahaha ! Mais qu’est-ce que tu racontes petite chose ? Il n’y pas d’enfants ici et je suis convaincu que tu n’as pas d’amis. Alors arrête de raconter des bêtises, si tu n’as rien à m’offrir, pars d’ici.”

KanenaK était visiblement blessé par les commentaires du batracien et il rétorqua:

“Bien sûr que si, j’ai un ami ! Ensemble, on a réussi plein de périples et vécu plein d’aventures !”

Le simple fait de se rappeler sa vie avec l’enfant planta une graine de chagrin dans la poitrine de la peluche. Le crapaud remarqua ce bref instant de mélancolie et il surenchérit:

“Ah, si cet enfant est ton ami, où est-il ? Laisse-moi deviner, il t’a abandonné. Laissé derrière comme un vulgaire chiffon et j’imagine qu’il avait bien raison de le faire ! Et tu veux savoir pourquoi ? Parce que tu n’as pas de cœur. Sans cœur, il ne peut y avoir d’amour ni d’amitié.”

KanenaK était déstabilisé, il ne pensait pas qu’un cœur pouvait faire tout ça.

“Un coeur ?! Mais je ne suis qu’une peluche, comment pourrais-je en trouver un ?”

“Eh bien, tu es un jouet bien chanceux, car je peux t’aider. Mais pas sans contrepartie. Mais qu’est-ce qu’un vieux tissu pourrait m'offrir ? Je sais, en échange d’un cœur, tu devras devenir mon ami… Pour la vie.” Dit-il avec un sourire malicieux.

La peluche accepta et le crapaud s’abaissa pour fouiller dans son tas d'objets. Les pièces, bijoux et breloques remuaient dans tous les sens. Enfin, le crapaud sortit un pendentif en forme de cœur. Il examina le collier pendant un instant en caressant son menton, puis il poussa un coassement affirmatif. Il descendit difficilement de son trésor et mit le collier autour du cou de la peluche.

“Voilà, maintenant que tu as un coeur et tout le tas de sentiment qui va avec, il est temps de remplir ta part du marché !”

“Bien sûr, je serai ravi de devenir ton ami. Que veux-tu faire ? Construire une cabane dans les bois, jeter des cailloux dans le lac ? Qu'est-ce qui te ferait plaisir ?”

“Ohhh, malheureusement, petite chose, ce n’est pas ce genre d’amitié dont j’ai besoin. Tu vois ce tas de babioles, il faudrait le déplacer jusqu’à ma demeure ou plein d’autres de mes… Hmmm, amis vivent aussi. Là, tu devras entretenir mon palace, nettoyer le sol, polir les vitres.”

“Mais ce n’est pas ça être un ami. Enfin, je veux bien rendre service, mais là vous allez me transformer en esclave ! N' y a-t-il pas autre chose que vous voudriez faire ?”

Le crapaud s’impatientait et des coassements incontrôlables de colère commençaient à se montrer.

“Non et non ! Tu as accepté de devenir mon ami et il n’y a pas de retour en arrière. C’est ta faute si tu n’as pas voulu clarifier les termes du contrat. Maintenant, arrête de résister et suis moi bien gentillement !”

Le crapaud s'avança lentement en direction du jouet. Pris de panique, KanenaK se mit à courir dans la direction opposée. Il courut loin, jusqu’à ne plus entendre la rage du crapaud, jusqu’à ne plus apercevoir le moindre signe du marécage.

A bout de souffle, il s’arrêta près d’un lac pour reprendre sa respiration. La forêt était paisible et le lac n’avait pas de remous. La peluche pouvait voir son reflet dans l’eau. Cela faisait tellement longtemps qu’elle n’avait plus vu sa propre réflexion. Sa fourrure était sale et couverte de tâches, ses vêtements étaient déchirés et effilés. Il n’était plus que l’ombre du jouet qui apportait tant de bonheur à son ami. Au plus il regardait son reflet, au plus le jouet était mal à l’aise, comme si, le reflet l’observait en retour. Kanenak bougea sa main près de son visage et le reflet ne bougea pas d’un pouce. Intrigué, KanenaK lança une pierre sur le reflet.

“ Ce n’est pas très gentil de me lancer des pierres comme ça.” Dit le reflet.

“Mais qui êtes vous ?!”

“Je suis ton reflet KanenaK et je suis là pour t’aider. Tu es perdu dans ce monde et tu es tristement seul. Tu n’as pas besoin d’un cœur ou d’un cerveau, tu as besoin d’amis, de ton ami. Alors laisse moi t’aider à ne plus être seul.”

“Si vous êtes juste mon reflet, comment pourriez-vous m’aider ? Je ne vais pas rester toute ma vie ici à parler dans un lac. Et puis si vous êtes moi et que moi aussi je suis moi, même si nous sommes deux, je reste seul. Maintenant j’ai la tête qui tourne.”

“Arrête de réfléchir comme ça et fais moi confiance KanenaK. Je peux t’emmener dans un endroit où tu ne seras jamais seul. Il te suffit juste de tendre ta main et de prendre la mienne.”

La peluché était intriguée et elle tendit la main vers son reflet dans le lac. Soudain, une main vaseuse et squelettique surgit du lac et tenta d’attraper la pauvre peluche. Pris de peur, KanenaK recula et trébucha par terre. La main retourna lentement dans le lac accompagné d’un rire d’outre-tombe.

KanenaK s’appuya contre un arbre et il rigola. Il rigolait à gorge déployée sans pouvoir s’arrêter. Pourquoi rigolait-il ? Il ne le savait pas vraiment. Peut-être parce qu’il ne pouvait pas pleurer. Peut-être parce que cette forêt absurde n’avait pas de sens et que c’est tout ce qui lui restait à faire. Peut-être parce que le renard avait raison… depuis le début. Tout ce qui est perdu ne peut pas être retrouvé, mais cela ne doit pas nous empêcher de continuer à vivre avec ce qui nous reste.

KanenaK se mit à marcher, le regard perdu, sans compter les pas ou les jours. Il était résigné à son sort, à jamais perdu dans ce labyrinthe d’arbres. Mais au loin, un objet attira son attention. Sous les feuilles mortes, un morceau de tissu dépassait. KanenaK s’approcha et déplaça les plantes pour découvrir une peluche de renard usée et miteuse. Il lui attrapa le bras et l’aida à se mettre sur ses pieds. Le renard était terrifié et perdu. Il bredouilla d’une voix faible:

“Je…je ne sais pas où je suis ! J’ai, j’ai perdu mon ami. Je dois le retrouver, tu n’aurais pas vu un enfant dans cette forêt ?”

KanenaK avait les yeux pétillants. Il prit le renard tremblotant dans ses bras et il lui dit d’un ton rassurant.

“Je vais tout t’expliquer, mais d’abord faisons un feu, j’ai une histoire à te raconter.”

Cette nuit-là, les braises dansaient côte à côte avec les étoiles. Pourtant, KanenaK n’avait pas peur, car il n’était plus seul.

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