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Légendes alésiennes

 

Livre 1 : La grande Chasse

 

Autrefois, dans un temps où les dieux, hommes, bêtes, monstres et engeances peuplaient la terre, l’espèce humaine était à son aurore. Vivant de la chasse et de la cueillette, la jeune race s’ était organisée en tribus nomades dans les plaines vertes de Mû. Au Nord, vivaient les cités des Rakshasas. Les villes de pierres des taciturnes Mahh-Yukk se dressaient en Azlan. Au sud brûlait l’insoutenable désert de Saramin'Du tandis que Féralis était une terre hostile peuplée de vulpiens sauvages et de créatures gigantesques.

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Bien que de nombreuses tribus prospéraient dans les prairies et forêts de Mû, le désir de chercher de nouvelles terres grandit dans le cœur des humains. Ainsi, les premiers groupes de colons partirent pour les forêts de Féralis. Les saisons passèrent et aucune nouvelle ne vint des pionniers. Des éclaireurs furent envoyés à la recherche des disparus, mais ils ne trouvèrent pas de cadavre, seulement une femme qui prétendait être la druidesse d’une des expéditions. Intrigués, les éclaireurs prirent soin de la femme. Cette dernière raconta l’histoire tragique de sa tribu. Les éclaireurs, horrifiés par l’histoire qu’il venait d’entendre, décidèrent de ramener la druidesse dans les contrées humaines.

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De retour en Mû, un grand rassemblement des tribus commença pour que tous connaissent l’histoire de la survivante. Une fois au centre de l’assemblée des anciens, la femme raconta le tragique récit de ses camarades.

 

« Féralis est un continent plein de mystère et de richesses. Les plaines et forêts abondent sur les côtes tandis que le nord-est couvert de toundra. Nous avions donc décidé de voyager le long des mers et des fleuves afin de profiter des plantes et du gibier sous un climat favorable.  Mais, à chaque fois que nous tuions une bête, à chaque fois que nous prenions un fruit, une chose semblait nous en tenir rigueur. Bien vite, nous comprîmes que nous étions observés, suivis, traqués par une créature terrifiante. Non pas des vulpiens, monstres ou autres bêtes, ceux-là, la magie et les armes nous permettent d’en venir à bout. Non, c’était une des créatures gigantesques dont les légendes parlent. Alors que nous montions le camp près d’une cascade, Bolur, un aurochs démesuré surgit des bois. Ses cornes étaient comme des chênes et ses sabots plus puissants que des rochers. En quelques minutes, il a piétiné toute ma famille, mes amis… J’ai survécu en me jetant dans la rivière. Je pensais voir la fin lorsque vos éclaireurs m’ont retrouvée. »

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En entendant l’histoire, les anciens furent tous choqués par le massacre de leurs semblables. Le sang appelle le sang, la mort de cette tribu demandait vengeance pour les esprits. Seule la tête de la bête pourrait permettre de donner le repos aux défunts. Ainsi, une grande chasse serait organisée afin de venger les colons. De nombreux druides et chasseurs expérimentés répondirent à l’appel. Parmi eux, Enkidur, une chasseuse réputée, décida de prendre la tête de l’expédition aux côtés de ses deux fils.

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Trente personnes partirent de Mû pour s’aventurer dans les contrées sauvages de Féralis. Parmi les trente se trouvaient des traqueurs, des mages, trappeurs et druides choisis parmi les humains les plus puissants des différentes tribus. Cette expédition avait été mise sur pied au nom de la vengeance et seule la mort de la bête ou la mort des chasseurs apaiserait les esprits. Ainsi, les valeureux partirent pour le continent de Féralis.

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Après plusieurs semaines à arpenter les taïgas, le groupe tomba sur un autre campement de colons détruit. Il n’y avait aucun survivant au massacre, juste les traces de sabots gigantesques qui semblaient aller vers le Nord. Les chasseurs avaient trouvé la piste de la bête, la traque pouvait commencer. Le groupe marcha nuit et jour, la bête était rapide et perdre sa trace n’était pas une option.

 

Après cinq jours de marche, le groupe était exténué. Enkidur était déçue, mais elle devait se rendre à l’évidence, il fallait monter le camp pour se reposer. Cette nuit-là, les aventuriers n’avaient pas compris que les chasseurs étaient devenus la proie. Avec l’aurore arriva le soleil, avec le soleil arriva Bolur. Le gigantesque aurochs chargea le campement, ses sabots firent trembler le sol et son hurlement pétrifia de terreur le groupe. Seule Enkidur garda son sang-froid. Elle prit sa lance et, avec précision, elle la projeta en direction de Bolur, éborgnant la bête. L’animal géant fut stoppé dans sa course et, prit de fureur, il donna un coup de sabot qui ouvrit la terre sous les pieds de la chasseuse. L'aîné de ses enfants parvint à la sauver de justesse et il rugit à son tour face à la bête. Le jeune homme prit sa hache et courra en direction de Bolur. La bête ne montra que du dédain face à son courage et d’un seul coup de sabot, il écrasa le guerrier. En voyant la mort de leur camarade, les autres membres du groupe reprirent leur esprit et s’engagèrent dans la bataille. Le combat fut périlleux, la magie et les armes des hommes se heurtant aux cornes et au cuir de la créature mythique. Pourtant, à la tombée de la nuit, la bête était morte. Bolur n’était plus et les esprits de ces victimes pouvaient reposer en paix.

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Malgré cette victoire, Enkidur n’était pas satisfaite. Son fils aîné avait péri sous les sabots de la bête. La chair de sa chair, son propre sang, avait quitté Sycarius à jamais. Prise de colère, la chasseuse s’approcha du cadavre de Bolur et arracha un morceau de chair de la dépouille. Enkidur se mit à dévorer la viande de la bête en signe de défiance.

 

Au moment où la chasseuse ingurgita la chair de l’aurochs, elle fut prise de visions. Enkidur vit une île située au nord de Sycarius. Elle vit une montagne s’élevant au-dessus des nuages, une montagne au sommet vert couvert d’arbres gigantesques. Enkidur demanda ensuite à ses compagnons de manger la viande de la bête à leur tour. Tous eurent la même vision et tous sentirent leur force revenir. Très vite, l'entièreté du groupe avait commencé un festin sur la carcasse de leur ennemi.

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Le lendemain, Enkidur proposa un choix aux membres de son groupe. Leur mission en Féralis était terminée, mais rien ne forçait les membres de l’expédition à rentrer chez eux. Tous avaient consommé la chair de Bolur. Tous eurent une vision de l'île et de la source qui y réside. Enkidur était décidée à trouver cet endroit mystérieux. Les guerriers qui désiraient retourner en Mû pouvaient le faire, ils étaient libres de leur serment. Cependant, ceux qui désiraient suivre Enkidur dans cette aventure étaient les bienvenus. Que ce soit par curiosité, fidélité ou par avidité du pouvoir, aucun des traqueurs ne rentra à Mû, tous décidèrent de suivre la chasseuse.

 

Ainsi, les chasseurs partirent en direction du nord pour accomplir une nouvelle mission. La troupe traversa les forêts et toundras de Féralis. Une à une, les chasseurs découvrirent les merveilles inexplorées du continent. Après plusieurs semaines, le groupe arriva à une grande étendue d’eau bordée de glaciers. Les chasseurs avaient atteint la limite de Féralis. Il fallait désormais trouver un moyen de traverser la mer pour atteindre l’île. En suivant la côte, les chasseurs trouvèrent un ensemble d’icebergs collés les uns aux autres. Leur agencement semblait surnaturel, comme s’il formait un pont sur la mer elle-même. Signe du destin ou hasard étrange, Enkidur ne pouvait s'empêcher de se demander d'où provenait ce pont de fortune. Néanmoins, la chasseuse saisit son opportunité et elle engagea la marche sur la glace. 

Le pont était immense, et après plusieurs jours le groupe semblait avoir perdu espoir. Ce pont les amènerait au bout du monde et non pas à l’île tant convoitée. Cependant, avec l’aurore, l’un des chasseurs aperçut une montagne au loin. Ils avaient enfin trouvé l’île de leur vision, une île située au nord du monde, ainsi, ils la nommèrent Borélia.

 

En arrivant sur l’île, les chasseurs découvrirent que le climat était plus doux que sur Féralis. De plus, un fleuve se jetait dans la mer, sa source semblant venir des hauteurs de la montagne au centre du continent. Assoiffés, ils burent l’eau de la rivière. Soudain, les chasseurs sentirent leurs forces revenir, la douleur de leur articulation disparaître et la fatigue du voyage se dissiper. Cependant, ce temps de repos fut de courte durée et le sol se mit à trembler. Un titan gigantesque sortit du bois, piétinant les arbres, et il se mit à hurler en direction du groupe. Revitalisés par la source, les chasseurs prirent rapidement les armes et un combat commença. Le Titan possédait une lance construite avec le tronc d’un arbre, chaque coup de son arme faisait trembler la terre et créait des bourrasques de vent. Enkidur ne perdit pas son sang froid et ordonna aux mages du groupe de bloquer le géant sur place à l’aide de leur magie. Une fois enchevêtré, Enkidur coupa les tendons du pied du Titan. Ce dernier poussa un hurlement semblable à l’orage et il posa ses genoux à terre. Il ne fallut pas longtemps au reste des chasseurs pour mettre fin à l’existence de leur ennemi. Cependant, avant de mourir, le Titan lança un funeste avertissement : la source n'était pas destinée aux races intelligentes de Sycarius. Quiconque chercherait à s’emparer de son pouvoir serait puni par Nergal, l’origine des Titans.

 

La vie avait quitté le corps du Titan et, à nouveau, les chasseurs sentirent une faim grandir en eux. A nouveau, un festin fut mis en place pour dévorer le gigantesque cadavre. A nouveau, les chasseurs eurent des visions. Cette fois-ci, tout était clair, la source se trouvait en haut de la montagne qui surplombait l’île. Le chemin était tout tracé, il fallait avancer dans les plaines, pénétrer dans le cœur de la forêt, marcher toujours plus loin, monter toujours plus haut.

 

Le voyage dura de longs mois. Les chasseurs rencontrèrent de nombreuses embûches sur leur route. De nombreux Titans et animaux géants attaquèrent le groupe. Pourtant, chacun des géants trouva la mort aux mains d’Enkidur et de ses compagnons. Après chaque combat, l’ennemi était dévoré par les chasseurs survivants, qui devenaient ainsi toujours plus forts. Néanmoins, au cours des affrontements, de nombreux chasseurs périrent. Si bien qu'arrivé au sommet, seulement sept personnes étaient toujours vivantes.

 

Après avoir gravi la montagne sur la pierre et la glace, sous la pluie et la neige, les aventuriers arrivèrent face à une forêt extraordinaire. Les arbres étaient gigantesques et leur ramure s’élevait toujours plus haut pour toucher le ciel. Malgré l'altitude, l’air était abondant et agréable, comme si le printemps n’avait jamais quitté cet endroit. C’est en longeant la rivière qui coulait au centre de ce lieu enchanté que les chasseurs trouvèrent enfin la source de vie.

 

Elle était là sous leurs yeux, l’objet de leur convoitise, la raison de leur voyage et le rêve de leurs confrères défunts. A côté de l’eau se tenait un Titan encore plus grand que ceux rencontrés auparavant. Sa peau ressemblait à s’y méprendre au ciel étoilé qui dormait au-dessus de l’île et ses longs cheveux flottant rappelaient les aurores boréales qui voyageaient, le temps d’une nuit, dans les cieux de Borélia. Cette créature était Nergal, l’origine des Titans, qui avait été annoncée comme le gardien de la source. Pourtant, l’être ne bougea pas lorsque les chasseurs s’approchèrent de la source. Il ne bougea pas non plus lorsque les aventuriers dégainèrent leurs armes. A la grande surprise des humains, le géant avait le regard perdu et triste. Ce n’est que lorsque qu’Enkidur s'approcha de l’eau que l’entité se mit à parler.

 

“Boire à cette eau ne vous apportera que malheur à toi et tes compagnons. La source ne donne pas son don sans demander un dut.”

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“Est-ce une menace, créature ? Sache que nous n’avons pas peur de toi ! Chaque créature qui a osé nous défier à péri sous nos lames. Si tu t’interposes entre nous et la source, nous te détruirons !” Répondit Enkidur.

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Nergal reprit de plus belle sur le même ton morne.

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“Vous venez juste de démontrer pourquoi la source ne peut vous apporter le salut, petite créature. Vous n’avez pas peur. Vous n’hésitez pas à creuser le chemin de votre destinée dans le sang et la violence. Cette île était en parfaite harmonie jusqu’à votre venue. C’était une ébauche d’un paradis qui aurait pu s’étendre au reste de Sycarius. Un don, mon offrande à ce monde de souffrance et de mort. Votre présence ici montre la futilité de mon action. 

Durant toute mon existence, j’ai scruté le ciel et les étoiles, si bien que ma peau elle-même a fini par refléter cette réalité. Là haut, j’ai trouvé les réponses aux questions les plus fondamentales de mon existence et les réponses que j’y ai trouvées furent… déstabilisantes. Vous aurez vous aussi le temps de contempler ce ciel et de comprendre la triste réalité de cette vie. Peut-être, alors, essayerez vous, vous aussi, de créer un paradis sur ce monde.” 

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Enkidur cria alors: 

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“Je suis fatiguée de cette discussion. Si tu veux offrir un paradis aux hommes, fais moi une faveur et meurs !”

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Sur ces mots, elle projeta son javelot en direction de Nergal. Pourtant, la créature ne fit rien pour esquiver le projectile. La lance se planta directement dans la gorge de Nergal et un sang lumineux se mit à couler. Malgré la blessure, Nergal ne réagit pas. Ce fut au tour des autres chasseurs de lancer leur attaque sur la créature. Toutes touchèrent leur cible et pourtant, Nergal ne bougeait toujours pas. Les chasseurs continuèrent à attaquer le géant qui restait toujours passif.

 

Après plusieurs assauts, la créature impassible finit par s’écrouler. Le regard tourné vers le ciel étoilé, Nergal versa une unique larme sur le sol avant de pousser son dernier soupir.

 

“Je vous laisse la source. Nous verrons si le traitement qu’elle vous réserve. Pour ma part, je m’en vais rêver un nouveau monde…”

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Le corps de Nergal se décomposa alors pour fondre en direction de la source. Le sang et la chaire de l’être donnèrent une nouvelle couleur à l’eau qui reflète, depuis ce jour, le ciel étoilé de jour comme de nuit. L’origine des Titans n’était plus, il ne restait de la créature que son crâne et une plante qui poussait à l’endroit où la larme était tombée.  

Le gardien de la source n’était plus. Les sept chasseurs pouvaient désormais boire à la source, ce que chacun s’empressa de faire. L’eau donna une protection des ravages du temps aux chasseurs, qui se renommèrent les immortels. Malheureusement, les avertissements de Nergal étaient fondés et, avec l’immortalité, vint un dû que chacun paya à sa manière.

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Enkidur, qui voulait vivre éternellement, fut condamné à voir sa propre mort. Pour celle qui avait dirigé l'expédition, l’immortalité serait de courte durée.

 

L’Artisane, qui voulait pouvoir utiliser son immortalité pour créer les plus beaux artefacts de ce monde, fut condamnée à vivre l’éternité dans une nuit sans lune. Elle ne pourrait jamais porter le regard sur ses créations.

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L’Archidruide, qui voulait sentir la chaleur du monde fut condamné à vivre dans le corps d’un arbre.

 

Le Voyageur, qui voulait créer un royaume resplendissant, fut condamné à errer sur Sycarius. Passer deux nuits au même endroit amènerait mort et désolation à ceux qui l'entourent.

 

La Lyriste, qui voulait illuminer le monde par ses chants et sa musique, fut condamnée à la voix du silence. Quiconque entendrait sa voix ne pourrait plus entendre que le silence.

 

Le Marquis, qui voulait vivre son immortalité en paix loin du monde, fut condamné à entretenir son immortalité par le sang des autres. Pour survivre, il devra prendre la vie d’autrui.

 

L’Oracle, qui voulait voir sa famille grandir, fut condamné à voir l’avenir de ce monde. La mort de ses proches fut la seule vision contre laquelle il était impuissant.

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Dépité, le groupe d'aventuriers s’approcha des restes de Nergal. Le crâne de leur ennemi émanait d’une puissante énergie, une énergie qui pourrait servir les sept immortels. Tous s’approchèrent du crâne et l’Artisane utilisa les os pour créer un artefact pour chacun d’entre eux, preuve de leur arrogance.

  

Ainsi, la grande chasse prit fin. Les immortels décidèrent de rentrer en Mû pour convaincre d’autres tribus de les rejoindre afin de fonder un royaume sur l’île de Borélia. Ainsi commença l’ère des cités humaines. 

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